Massif du Makay – Jour 4
Ce matin, je découvre l’environnement du campement, je n’avais pu le voir en arrivant de nuit hier soir. Je me dirige vers le feu où Jeerika prépare le petit déjeuner, entouré et aidé par les porteurs. Ils sont emmitouflés dans un drap au bord du feu, jovial et souriant comme d’habitude. C’est une des grandes qualités des malgaches : le sourire. J’ai toujours remarqué que les femmes, les enfants et les hommes étaient souriant dans la vie et à tout moment. Ils ont un visage rayonnant, cela donne une impression que rien ne les touche, alors qu’ils sont d’une grande sensibilité. Si un Malgache ne vous sourit pas c’est que vous l’aurez vexé ou offensé.
Je profite pour dire au revoir à cette équipe de porteurs, ils ont marché 3 jours avec nous, ils retournent chez eux dans les villages environnants laissant la place à six autres porteurs.
Une dernière photo souvenir avec tout le monde, que nous avons prévu d’imprimer et de les renvoyer par l’intermédiaire d’un taxi-brousse. Le veloma (au revoir) effectué nous reprenons la route et comme chaque matin, c’est les pieds dans l’eau que nous commençons cette journée !
Nous nous enfonçons dans un canyon au falaise assez haute, le rétrécissement du canyon fait monter l’eau et nous en avons jusqu’au mollet. Les couleurs sur la roche sont magnifiques, composées de nuance de jaune, d’ocre et de rouge. Les couleurs donnent une impression de vie sur la roche, par-ci par-là des touffes d’herbes, un arbuste qui poussent.
Je lance quelques cris pour faire résonner ma voix contre les parois des falaises. Devant moi le guide avance imperturbable.
Au détour d’un virage, nous remontons sur la berge ensablée et nous nous dirigeons vers le haut des plateaux. Nous retrouvons la végétation sèche et cette plante, le karibou qui en veut toujours à nos jambes. Un vent chaud, apporte un peu d’air. Au loin, je vois une colonne arriver, ce sont nos porteurs. Ils marchent à vive allure et nous rejoignent, une petite pause commune et ils rechargent les gones et les sacs sur le dos et s’en vont toujours d’un pas lest et rapide. Ils arriveront avant nous en prenant des raccourcis que je ne souhaite pas forcément emprunter, car très pentus.
J’apprécie ce calme sur le plateau, seul le souffle du vent émet un son, autour de nous pas un seul homme, nous sommes seuls sur ce haut de colline pour dominer le Makay et observer à volonté tous les méandres creusés dans la roche, toutes ses rivières qui ont frayées un chemin formant des vallées étroites, comblées par une végétation luxuriante. Contraste entre deux sols, le haut sec, rocheux et rocailleux, le bas humide, sableux et verdoyant.
Nous redescendons de la colline pour retrouver un lit de rivière boisé où nous retrouvons de la fraicheur et bien évidement un sol que j’affectionne : le sable. Sur celui-ci, nous découvrons des traces de pas d’animaux, des empreintes de fossa, probablement une mère et son petit. Le fossa est un animal endémique de Madagascar et c’est le plus gros mammifère et prédateur de l’ile. Il chasse les lémuriens et autres petits rongeurs. Capable de grimper en haut des arbres, il est de la famille des féliformes, un sous ordre de mammifères carnivores dont les félins. Il est très rare d’en voir car c’est un animal très sauvage, se déplaçant la nuit comme le jour. Hélas ! je n’aurais pas l’occasion d’en apercevoir un, pourtant les traces sont nombreuses, une autre fois peut-être ?
Nous poursuivons notre route, nous trouverons d’autres traces, des lémuriens, un rat pourchassé par un chat, des pintades sauvages. C’est impressionnant, lorsque nous prêtons une attention particulière au sol, notamment sur le sable, nous pouvons imaginer le déroulement de la vie animalière, les parcours de chacun, les luttes, les envols, les regroupements. Et maintenant, ces traces sont complétées par celle d’un autre mammifère l’être humain avec leurs grosses chaussures, que raconte ces traces, les animaux les étudieront peut-être à leur tour ?
Nous poursuivons dans ce large canyon, au sol des ruisselets d’eau s’écoulent doucement. C’est une eau ferrugineuse, elle est de couleur rouille. Elle sillonne autour des arbres formant des méandres qui seront peut-être de futurs canyons dans des millénaires.
Quelques oiseaux passent devant nous, certains semblent nous tracer notre chemin en nous précédant, en sautillant, s’envolant et sautillant à nouveau avant de s’envoler définitivement.
Nous déjeunerons dans cet environnement et comme à mon habitude, j’allume mon feu pour faire chauffer mon café du midi.
Nous reprenons la route et entrons dans le canyon de Beravitsazo, les parois sont verticales et l’écartement entre elles se rétrécissent de plus en plus. Les ruisselets deviennent un ruisseau puis à un moment, c’est une rivière qui apparait ou plutôt un bassin au milieu de la rivière enserrée entre les falaises. Nous avons de la chance aujourd’hui, les 25 mètres de ce bassin a une profondeur d’eau qui nous arrive « jusqu’à la ceinture… » en temps ordinaire nous aurions dû nager avec les sacs sur la tête.
Nous poursuivons dans ce couloir, il y a moins d’eau. Ce canyon offre des images de toutes beauté. Les parois semblent vouloir se rapprocher, s’embrasser, se contourner, la lumière s’enfuit de part est d’autre, éclairant chaque angle d’un éclat différent. C’est une réelle féérie, plus je regarde au loin plus j’ai l’impression de marcher face à un mur qui s’écarte au fur et à mesure de l’avancée de mes pas. Les deux parois sont comme fusionnées entre elles. Sur le côté, d’autres canyons partent vers une destination inconnue. C’est un vrai dédale au sein du Makay, pas besoin du fil d’Ariane pour marcher dans ce labyrinthe, Francis connait bien son territoire et veille à ne pas nous embarquer vers une fausse route, une impasse.
J’admire la beauté de ces falaises, les nombreuses courbes, les angles saillants sculptés par l’eau. Le débit devait avoir une force puissante pour modeler ainsi la roche. Nous arrivons dans un virage formé par le travail de l’eau il y a des milliers d’années, c’est impressionnant comment la roche est arrondie. J’essaye de comprendre le parcours de l’eau sur quelle roche elle a rebondi pour ciseler la falaise et lui donner cette forme ronde, régulière comme une pierre polie.
Des fougères et autres plantes poussent dans la roche apportant une touche de couleur dans cet univers minéral. A certains endroits l’humidité est plus forte et les murs de roches sont tapissés d’une mousse verte. La fraicheur règne à l’intérieur de ces méandres.
Nous marcherons un bon moment dans ce couloir avant de retrouver l’espace large du lit de la rivière. La chaleur revient vite, j’en viens à regretter ce canyon de fraicheur.
Encore un ou deux kilomètres de marche sur le sable, difficile d’évaluer les distances, je n’ai plus les repères de mon temps de marche en fonction de mes pas. En temps normal, je connais la distance que je parcours en fonction de ma cadence sur un chemin, ici dans le sable je suis désarçonné, je n’arrive pas à évaluer le temps et la distance. Je suis dans un autre monde.
Nous débouchons dans une savane, une grande plaine parsemée d’arbres ici et là et recouverte d’herbes jaunes et de quelques ilots d’herbes rougeoyants qui ondulent avec le vent. Nous traversons cette aire, au sol de grosses termitières, monticules de terre grise façonnées par les termites. Elles sont nombreuses et l’on voit bien leur action sur les arbres, lorsque l’écorce de l’arbre est d’une couleur rouille, c’est que les termites l’ont attaqué, s’en suivra une longue agonie du végétal et un tumulus pyramidal gris se formera là où l’arbre avait planté ses racines.
La fin de la journée nous permettra d’atteindre le campement par le passage dans le lit de la rivière Ampasinafy, large lit boisé sur les côtés. Là encore, nous remontons le lit de la rivière, cette pente douce que nous ne percevons pas visuellement mais qui physiquement fatigue bien les jambes. La chaleur est étouffante, quelques pauses s’imposent, nous arrivons en fin de journée, il faut économiser l’eau afin de tenir jusqu’au bout. Pour ma part, ces conditions de marche me font consommer jusqu’à 3 litres d’eau par jour. Chaque matin, je prépare l’eau dont j’ai besoin, Jeerika fait bouillir de l’eau que je mets dans les gourdes et poche d’eau puis le temps du petit déjeuner je les plonge dans la rivière pour les refroidir. Le soir, j’utilise une pompe filtrante, c’est un peu plus long, l’avantage l’eau est fraiche.
Encore une heure de marche avant d’arriver au campement, avant la tombée du jour, ce qui est appréciable.
Nous sentons l’arrivée au campement assez proche, la parole revient entre nous. Lors de nos journées, nous marchons souvent en silence et chacun à son rythme. On se retrouve régulièrement aux pauses, c’est le moment où la discussion peut intervenir. Lors de mes nombreuses randonnées avec des amis, j’ai toujours apprécié le principe que chacun marche à son rythme, cela est important, marcher à la cadence de l’autre est fatiguant, son pas ne correspond pas au vôtre.
A 500 mètres du campement, nous découvrons dans le lit de la rivière un morceau de tronc d’arbre fossilisé. Ce bois pétrifié est le résultat d’un long processus où l’arbre a séjourné profondément dans le sable provocant un manque d’oxygène et ensuite les minéraux ont remplacé la matière organique du tronc. La roche est dure et lourde, impossible de rapporter ce morceau dans le sac, dommage car son apparence est esthétique et belle. Ce morceau doit dater de plusieurs millions d’années.
Nous arrivons au campement de Kalimboro vers 16h30, au bord de la rivière Makay kely (petit Makay) elle est un affluent de la rivière Makay. C’est la première fois que nous arrivons de jour depuis le début de notre trek. J’apprécie, cela va permettre d’effectuer un peu d’ordre dans mes affaires, notamment un peu de lessive et surtout de prendre une bonne douche froide dans la rivière.
Nous profiterons de ce temps pour faire une partie de cartes avant le diner.
Vers 20 h je vais dormir…